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Vis ma vie de vendeuse: J2

14 Jan

Le jour où j’ai arrêté de croire en l’humanité

[Soutien-gorge cintrés: 40; « Allez-y, tout est à -50% » criés: 3; Regards méchants lancés: 0: Envies de meurtre: 25;]

Je dois vous l’avouer: j’aurais du travailler à la boutique jeudi et vendredi, mais j’avais la grippe. Si si. Ce n’est pas un subterfuge pour éviter de voir l’horreur de notre société en temps de soldes. C’est donc plus ou moins fraîche que j’arrive le samedi, à 15h. J’entends ma chef donner quelques consignes: « Tu mets les meilleures en zone 1 et 3… ». Je suis placée en zone 1. Tu m’étonnes ! Je suis tellement une psychosée du rangement que je dois être l’une des plus au taquet.

Je rejoints la zone 1. Je m’arrête net quand je la vois. En fait, il n’y a plus vraiment de zone. Il y n’y a plus vraiment de table non plus. Il y a des tas. Même pas de fringues. Ce sont de boules de tissus. Entassées, mélangées. Le tas commence au sol, même pas sur les étals, car toutes les piles sont tombées. Je ne vois même plus ma collègue Virginie qui est de l’autre côté de cette montagne de vêtements. C’est un attentat ! Des débardeurs de la table en zone 3 ont même réussi à voler jusqu’à la nôtre. Virginie a complètement baissé les bras, dépassée par les événements. « Comment tu fais Delphine? », me demande-t-elle. OK. On va tout reprendre à zéro: règle n°1: ne pas se laisser déborder par le foutoir, d’où la règle n°2: ne pas laisser ledit foutoir s’installer. Sinon, t’es foutue. Le moindre truc que repose une cliente, ce sera 99% du temps mal reposé. Tu le reprends, tu le replies, tu le reposes. Je l’aide donc à reprendre le pouvoir sur sa table. Peu à peu, on y retrouve, au bout d’une heure, un peu d’ordre. L’ordre est relatif durant les soldes. Ma collègue souffle un peu. Je crois qu’elle ne reviendra pas la semaine prochaine. C’est le regard vide et en même temps soulagée qu’elle me laisse. Je m’attendais à perdre quelques compagnons de tranchée car le combat est rude. Encore plus le samedi.

Prendre une pause = quitter le navire = revenir lorsqu’il aura couler

 Le samedi d’ailleurs, pour les clientEs (et je n’ai pas peur de dire CLIENTEEEEEUUUUHHH) c’est un peu comme un soir de pleine lune pour les loups-garous. Elles se transforment. Je me retrouve vite coincée entre deux nanas qui remuent toute la table. Elles ne réalisent même pas le bordel qu’elles sont en train de m’y mettre. Derrière, la corset’ tient à peu près le coup. Elle résiste. C’est plus facile de faire un carnage dans une pile de short.

J’ai depuis longtemps laissé tomber le sac gigantesque à proposer aux clientes. Qu’elles se demerdent. Ce sac à cabas est plus encombrant qu’autre chose et m’empêche d’avancer dans ma lutte pour l’ordre. Je ne beugle plus non plus le blabla sur les -50%. J’ai d’autres priorités. Sur ma montre, l’heure tourne et mon envie de prendre ma pause prend de l’ampleur. Mon dos n’en peux plus et j’ai envie de toutes les étouffer avec ces shorts hideux. Mais une partie de moi le sait: « Prendre une pause = quitter le navire = revenir lorsqu’il aura couler = repartir avec un radeau percé pour reconstruire un navire ». Et puis merde. J’y ais droit à ma pause. Mais je culpabilise, assise dehors, sur les marches froides de l’immeuble d’à côté. Lorsque je reviens, 5 minutes plus tard, ma table ressemble à ça: (Vous pouvez le dire, elle ne ressemble à rien).

Oui c'est flou. Qu'on me pardonne. Crédits: DJ

Oui c’est flou. Qu’on me pardonne. Crédits: DJ

Je me rends compte du réel problème (si on écarte que la base du problème = le client). Il y a 3000 fois trop d’articles sur cette table qui est beaucoup trop petite. Forcément les piles sont immenses. Forcément elles tombent. On respire, on prend sur soi et tout ira bien. Je jette alors un coup d’oeil à la corset’. C’est par là que je vais (re-re-re)recommencer l’arrangement de ma zone. Je ne sais pas si les femmes deviennent profondément débiles en période de soldes, mais je me demande. Elles ne savent même plus raccrocher correctement un soutien-gorge ou un shorty. J’en sors des portants par paquets. Tout est enguirlandés. Et ma tête à ce moment là, c’est à peu près celle-là:

Et ce que je vois, c’est ça:

Crédits: DJ

Crédits: DJ

Putain encore quatre jours.

 

Vis ma vie de vendeuse: Jour J

11 Jan

Le jour où j’ai compris que pendant les soldes, s’il y a du bordel, ce n’est pas à cause de l’incompétence des vendeuses, mais bien de la négligence des clients.

[Soutien-gorge cintrés: 15; « Allez-y, tout est à -50% » criés: 25; Regards méchants lancés: 1]

Ça y est, je suis dans la place ! Ou plutôt dans ma zone. La zone 1. Je suis de bonne humeur lorsque j’annonce à ma collègue que je prends la relève. Elle me lance: « Ohhh merci, j’en peux plus, c’est horrible ». Ha. Ça donne envie… Pourtant, elle s’est bien débrouillée. La table centrale est pas mal et la corset’ (soutien-gorge et culotte d’un côté, boxers pour hommes de l’autre) est proprement alignée sur ses portants. J’ai à peine le temps d’observer ma zone, que des clientes entrent dans le magasin telle une tornade, armées de leurs gigantesques sacs à main et prêtes à en découdre avec l’ordre qui règne sur ma table. Tel un mauvais sort jeté contre moi, ces forces de la nature ont décidé aujourd’hui de détruire mon travail. De 15 h à 20 h. Elles saisissent un short, le retournent, le reposent, elles en prennent un deuxième, fouillent dans ce qui devient rapidement un tas. Il y en a des doux, d’autres en laine, des imprimés léopards, des unis, des très moches aussi (celui avec les sept nains de Blanche Neige est vraiment affreux, d’ailleurs, peu de clientes le prennent en main).

C’est comme essayer de remplir un sceau percé.

Patiemment, je reprends ce qu’elles ont reposé et m’empresse de tout replier. Très vite, je me retrouve face à un problème de taille: il me faudrait une table vide à côté, pour rassembler au moins les modèles avant de les replier. Je ne dispose pas de cet espace. C’est assez troublant. Et énervant. Du coup je superpose. Je fais mon tas de short en satin noir sur celui de short imprimés Bambi, qui lui-même est posé sur un tas désorganisé. En arrivant dans ma zone, j’étais plutôt soulagée de voir que j’avais surtout des fringues à plier plutôt que des balconnets à cintrer. Mais je vais vite comprendre mon malheur: C’est comme essayer de remplir un sceau percé. Encore et encore. C’est comme pousser cette pierre en haut de la montagne, la voir rouler de l’autre côté et recommencer la manœuvre. Le mythe de Sisyphe vous connaissez?

Bizarrement, ma patience tient bon. Je crois que ça vient du fait que j’aime les choses bien rangées. Mais au bout de deux heures de pliage, repliage, re-repliage, RE-re-repliage, ça devient frustrant. A peine je termine de remettre en place un bout de la table, que dix secondes (et encore…) suffisent à un groupe de harpies d’une quinzaine d’années pour tout remettre en désordre de l’autre côté. Et je ne peux qu’observer mes efforts partir en fumée. C’est horrible. Je prends sur moi. Mais plus le temps passe, plus j’ai envie de leur demander gentiment de respecter mon travail. Puis de leur lancer des regards destructeurs. Puis carrément de leur gueuler dessus. Voir de créer avec mes bras un périmètres de sécurité: « PAS TOUCHE! » C’est tout de même pas compliqué de reposer joliment un article qu’on a déplié non ? Les pires, ce sont ces jeunettes de 17 ans, peinturlurées au possible, fond de teintisées comme des Maserati et qui mâchent ostensiblement leur chewing-gum faisant claquer leur langue. Celles-là, elles ne regardent même pas les articles qu’elles prennent en main. Elles les jettent directement 50 cm plus loin. Comme si c’était drôle.

Ma zone est très bien rangée oui. Crédit: DJ

Ma zone est très bien rangée oui. Crédit: DJ

Heureusement, certaines clientes sont plus sympas: « Vous êtes vendeuse ici? Vous pensez que ça m’irait bien ça? », me demande une cinquantenaire en apposant sur elle une nuisette rouge. « Oui, vous avez le teint mat, les cheveux noirs, c’est une couleur qui vous va bien », je lui réponds. J’ajoute: « Et puis de toute façon, vous avez 30 jours pour échanger ou vous faire rembourser ». Je suis déjà experte ! Je lance même un « Allez-y, tout est à moins 50%! » J’ai osé. Et j’ai honte. Mais au bout d’un moment, ça devient presque mécanique. Comme plier sans réfléchir. Je me dis que le rangement appelle le rangement et que les clients ont bien plus de scrupules à tout envoyer bananer lorsqu’ils voient une table rangée (rangée dans le sens « rangée pendant les soldes », ce qui abaisse le niveau d’exigence du rangement).

Il est 18h30, cela fait 3h30 que je travaille et je n’ai encore pris aucune pause. Cette fois c’est le moment, les pires clients sont passés. Ma chef me lance un regard un peu sceptique: « Elle est comment ta zone? ». « Franchement, elle est nickel », je lui réponds en regardant la table de la zone 3 qui ressemble à un stand de braderie après un bombardement. « Bon, ok, tu peux prendre une pause ». Je me dis « J’avais pas besoin de ton accord! » A 19h40, il n’y a plus que deux clientes dans le magasin. Comme ma zone est quasiment parfaite (si si, j’ose le dire), je dois récupérer le bordel d’une de mes collègues qui n’a pas sût tenir la sienne. La zone 3 justement. C’est assise par terre, à côté d’un tas de vêtements, que je commence à trier. A 20h15 je pars, le dos en compote et surtout les épaules détruites. Ma chef nous félicite et ajoute: « N’en rêvez pas trop cette nuit ! ».

Vis ma vie de vendeuse: cintre 1-0 delphine

8 Jan

Ce mois-ci, en plus de mes piges, j’ai décidé de poser mon CV dans les enseignes de prêt à porter grenobloises dans l’espoir que l’une d’elles, malgré mon manque total de qualification dans le domaine, me donne la chance unique de vivre les soldes de l’intérieur. Moi maso ? Pas du tout. J’adore la mode. Les tissus. Cristina Cordula. Les clients hystériques. Plier. Replier… Non, en fait j’avais juste besoin d’argent. Une marque de prêt à porter de lingerie et de vêtements de nuit me donne ma chance. Bizarrement, je suis plutôt excitée. Quelques jours avant, en flânant dans les boutiques, je me surprends même à étudier la manière dont les brassières et les tangas sont accrochés aux cintres. Histoire d’être rodée.

 

«Les soldes chez nous, ça ne se passe pas comme aux Galeries Lafayette ou chez Minelli »

A la veille de cette épidémie de fièvre acheteuse généralisée, je retrouve donc les autres filles qui seront là pour ces quelques semaines. Elles doivent être aussi maso que moi. Ou au moins autant en manque de beurre dans leurs épinards. On nous donne deux t-shirt de la marque. Sympa ce petit cadeau. Je comprends très vite que c’est surtout pour que l’on puisse se repérer entre vendeuse : « Parce que demain, il y aura tellement de monde que vous ne vous verrez plus. » Puis, on nous briefe : « Devant vous, vous aurez quelque chose comme ça sur les étals », explique l’assistante de la manager, Carine, en nous montrant une pile de soutien-gorge, culottes et débardeurs entassés de manière grossière. Bon. Je m’en doutais, jusque là je ne suis pas vraiment surprise. Le foutoir ne me fait pas peur. Ensuite, elle s’approche des portants et décroche la moitié des petites culottes. Elles pendouillent à moitié dans le vide. « Et ici, ce sera comme ça sur toute la longueur du portant. Les soldes chez nous, ça ne se passe pas comme aux Galeries Lafayette ou chez Minelli ». Les filles autour de moi ne réagissent pas trop et écoutent attentivement, les bras timidement croisées derrière leur dos. Carine nous donne alors à toutes un cintre et un soutien-gorge et nous montre la manœuvre à suivre pour bien le raccrocher. La démonstration à peine terminée (elle a duré 10 secondes), j’ai déjà oublié le premier mouvement. Je me dis que ce ne doit pas être si compliqué. J’essaye. Dans ma tête, j’ai l’impression d’être dans un cours de géométrie dans l’espace. Et j’ai toujours été nulle en géométrie dans l’espace. « Est-ce que la bretelle passe devant puis derrière ? » « Et ce truc il sert à quoi dans l’accrochage ? ». Je tente. Raté. La vendeuse me fait remarquer que la fermeture est bien trop haute. Puis trop basse. Après 5 minutes, je suis la dernière à n’avoir toujours pas réussi à recintrer correctement un soutien-gorge. Je m’exclame : « Il doit y a voir un problème avec le soutien-gorge ». Regard circonspect des autres filles. Bon, il faut croire qu’on n’est pas là pour rigoler. Je me sens pataud. Gauche. J’ai le sentiment de découvrir pour la première fois que j’ai des doigts et je vis l’un de pires moments de solitude de ma petite vie. Après une dizaine d’essais j’y arrive enfin. On me dit surtout que « ça va » pour passer à la suite : les culottes. Je suis un peu plus à l’aise. Juste un peu. « Je vous donne à chacune deux cintres. Vous vous entraînerez ce soir ».

Crédit: Touchstone Picture

Crédit: Touchstone Picture

Après ces travaux pratiques – traumatisant pour ma part. Je suis au niveau – 1000 de la confiance en soi côté travaux manuels – , la manager nous explique « l’ambiance soldes ». Si on peut parler d’ambiance : « Le client qui entre, pour nous, c’est un cadeau. Il va acheter. Par contre vous, pour lui, vous serez juste de la merde… Les gens sont totalement horribles pendant les soldes. » Je vois déjà des filles se crier dessus pour avoir le dernier ampliforme en 90B bleu canard – que je viendrais d’admirablement bien recintrer -, mais je me dis que les doyennes du magasin doivent exagérer pour nous faire peur. « Certaines d’entre vous pleurerons. Vous serez au bord de la crise de nerf tellement le travail s’accumulera », ajoute encore l’adjointe les yeux écarquillés. Elle a l’air de déjà si voir. « Et n’hésitez pas à crier ». « A l’aide ? » me dis-je. « Rappelez aux clients qu’il y a – 50 % sur tout. » Je me sens capable de supporter l’impolitesse d’une bande d’hystérique, de passer 10 minutes au lieu de 10 secondes à ranger un sous-vêtement, d’être debout pendant des heures, mais pas de jouer la poissonnière un jour de marché.  Pour m’assommer complètement, Carine termine : « Vous aurez 5 minutes de pause, pas plus. Et il faudra la prendre quand il y aura le moins de monde ». La responsable nous explique ensuite le « zoning » (où nous serons chacune placées dans le magasin). Je prie pour être dans les coins où il y a plus de pulls, débardeurs et pantalons de nuit à plier que de balconnets ou de strings. D’ailleurs excusez-moi mais je dois vous laisser. Comme on nous la conseillé, j’ai un coup de main à prendre.