Le défilé des fées

31 Jan

Vendredi soir, dans une concession automobile de Haguenau, Deborah Baumgarten, jeune couturière, (on en avait déjà parlé ici ) présentait ses créations. Sur le tapis noir, vêtus de ses plus belles tenues, des amies, des membres de la famille. Dans le public, de sombres inconnus prêts à plonger dans l’univers fantasmagoriques de la styliste aux doigts de fée.

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Crédits photos: DJ

Dans la cave, les abeilles ouvrières s’activent. Leurs petits doigts fins et aux gestes méticuleux s’occupent de prendre soin des reines qui défileront dans quelques heures, avec les tenues confectionnées par Deborah Baumgarten, couturière installée à Nordheim.

Krystel, la maquilleuse a encore du travail. Si le début de l’après-midi lui a permis de peindre entièrement le corps de Rachel, l’heure tourne désormais, et il reste encore une vingtaine de filles à maquiller. Adeline, la coiffeuse n’est pas en reste. Mais avant de passer entre leurs mains expertes, les mannequins novices doivent mettre la robe que Déborah leur a choisie. Du tafta, de la dentelle, des imprimés… Sans oublier les accessoires: mini chapeau, headband des années folles, sacs à main de soirée et ceintures, rien n’est oublié. Au milieu des caisses à outils, ampoules et pots remplis de vis, des tenues élégantes et raffinées pendent, accrochées aux cintres, en attendant qu’une nymphe s’y glisse.

Pour Deborah, chaque détail compte. Elle court partout. « Maman, tu peux t’occuper de nouer les rubans de la ceinture? » demande-t-elle pendant que son mari, Thomas, descend de temps en temps dans la ruche pour briefer les demoiselles: « Marchez lentement, au moins une minute. Vous faites des poses de temps en temps et surtout, vous ne souriez pas à pleine dent… » Les modèles sont interloqués. « Dans un défilé, les gens viennent regarder les vêtements, pas les visages de celles qui les portent », poursuit-il. « Ils feront quand même ce qu’ils veulent… » lance, un brin malicieuse, Danièle, la maman de la créatrice.

De leur côté, les filles arrivent au compte goutte. Toutes les générations sont représentées pour l’événement. « On voulait que les gens s’imaginent dans ces vêtements. Ça ne sert à rien de faire un défilé s’ils ne peuvent pas s’identifier aux modèles. Les filles devaient être normales, pas filiformes… », affirme Thomas. Derrière lui, Lucie attend d’être maquillée patiemment. Son teint est blafard et uniforme. Comme si on y avait déposé à la truelle une couche de crépis. Même ses cils sont clairs. « C’est la sous-couche avant le maquillage pour que la peau ne brille pas sous les spots », explique la maquilleuse. Puis Lucie s’assoit, le sourire aux lèvres. La bonne humeur règne. Elle ferme les yeux. Lève le menton et se laisse faire, les mains délicatement posées sur les genoux. Krystel est précise. Elle ne tremble pas d’un poil. Sur le dessus de sa main, une palette de couleurs étalées dans lesquelles elle trempe de temps à autre un fin pinceau. Le teint pâle de Lucie s’illumine. Une touche de rouge sur les lèvres, un trait délicat de crayon sous les yeux et le tour est joué. Son headband rouge lui donne l’allure d’une danseuse de charleston.

Deborah voulait que son défilé transporte les visiteurs dans un jardin féerique. Chacune des modèles sera l’une des nymphes de ce paradis enchanté. « Celles qui ne porteront pas d’accessoires dans les cheveux auront un bijou de front dessinés à la main », détaille la couturière. L’effet est saisissant. Certaines semblent sortir tout droit d’un conte de Tolkien. L’une d’elle glisse son pied dans un escarpin blanc et le ferme délicatement. Sa robe blanche et longue lui donne de la légèreté. Ses yeux sont mis en valeur par un maquillage vert clair et une cape émeraude complète sa tenue. Toutes les filles sont splendides. C’est désormais au tour d’Aigline de passer entre les mains d’Adeline. Le sèche cheveux marche à blinde depuis plusieurs heures maintenant. La coiffeuse enroule le cheveux autour d’une brosse ou fait chauffer le lisseur duquel une légère fumée s’échappe et se mêle à celle de la laque.

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Entre deux retouches, Deborah prend le temps de se maquiller et de se changer rapidement. Elle aussi défilera sur le tapis comme tous les grands couturiers après leur show. Son corset est enfin bien serré, son camée bien épinglé et à ses pieds, des escarpins avec des licornes dorés comme talons ne cessent d’étonner. Les blagues fusent, les dernières cigarettes se savourent pour les plus anxieuses. D’autres ne diraient pas non à un petit remontant. Krystel est en panique: « Il faut qu’ils gagnent du temps, qu’ils blablatent un peu plus, je n’aurai jamais fini dans les clous ». Le timing est serré mais finalement parfait. C’est désormais du côté des modèles que le stresse monte. L’attente semble interminable. Les lèvres tremblent. Les cœurs s’emballent. « J’aurais préféré passer la première je crois », souffle l’une des mannequins. Une deuxième s’inquiète en réajustant son délicat décolleté: « Je ne vois rien sans mes lunettes, j’espère que je ne vais pas tomber ».  La première revient de son passage sous le feu des projecteurs. C’était la belle-mère de Deborah. Elle était vêtue de noir, un miroir et une pomme à la main, une cape sombre sur le dos. Elle tente de rassurer les suivantes: « Ça se passera bien ». La suivante termine son passage: « Franchement, tout le monde à les yeux rivés sur nous, c’est horrible. Je ne savais pas où regarder ! » Chacune des fées revient tout de même le cœur léger. Et quand Deborah leur demande: « Vous le referez? » en pensant déjà au prochain, elles se regardent et malicieusement répondent « Peut-être… »

Delphine Jung

[ Découvrez Deborah Baugmarten ici ]

 

 

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