Vis ma vie de vendeuse: Jour J

11 Jan

Le jour où j’ai compris que pendant les soldes, s’il y a du bordel, ce n’est pas à cause de l’incompétence des vendeuses, mais bien de la négligence des clients.

[Soutien-gorge cintrés: 15; « Allez-y, tout est à -50% » criés: 25; Regards méchants lancés: 1]

Ça y est, je suis dans la place ! Ou plutôt dans ma zone. La zone 1. Je suis de bonne humeur lorsque j’annonce à ma collègue que je prends la relève. Elle me lance: « Ohhh merci, j’en peux plus, c’est horrible ». Ha. Ça donne envie… Pourtant, elle s’est bien débrouillée. La table centrale est pas mal et la corset’ (soutien-gorge et culotte d’un côté, boxers pour hommes de l’autre) est proprement alignée sur ses portants. J’ai à peine le temps d’observer ma zone, que des clientes entrent dans le magasin telle une tornade, armées de leurs gigantesques sacs à main et prêtes à en découdre avec l’ordre qui règne sur ma table. Tel un mauvais sort jeté contre moi, ces forces de la nature ont décidé aujourd’hui de détruire mon travail. De 15 h à 20 h. Elles saisissent un short, le retournent, le reposent, elles en prennent un deuxième, fouillent dans ce qui devient rapidement un tas. Il y en a des doux, d’autres en laine, des imprimés léopards, des unis, des très moches aussi (celui avec les sept nains de Blanche Neige est vraiment affreux, d’ailleurs, peu de clientes le prennent en main).

C’est comme essayer de remplir un sceau percé.

Patiemment, je reprends ce qu’elles ont reposé et m’empresse de tout replier. Très vite, je me retrouve face à un problème de taille: il me faudrait une table vide à côté, pour rassembler au moins les modèles avant de les replier. Je ne dispose pas de cet espace. C’est assez troublant. Et énervant. Du coup je superpose. Je fais mon tas de short en satin noir sur celui de short imprimés Bambi, qui lui-même est posé sur un tas désorganisé. En arrivant dans ma zone, j’étais plutôt soulagée de voir que j’avais surtout des fringues à plier plutôt que des balconnets à cintrer. Mais je vais vite comprendre mon malheur: C’est comme essayer de remplir un sceau percé. Encore et encore. C’est comme pousser cette pierre en haut de la montagne, la voir rouler de l’autre côté et recommencer la manœuvre. Le mythe de Sisyphe vous connaissez?

Bizarrement, ma patience tient bon. Je crois que ça vient du fait que j’aime les choses bien rangées. Mais au bout de deux heures de pliage, repliage, re-repliage, RE-re-repliage, ça devient frustrant. A peine je termine de remettre en place un bout de la table, que dix secondes (et encore…) suffisent à un groupe de harpies d’une quinzaine d’années pour tout remettre en désordre de l’autre côté. Et je ne peux qu’observer mes efforts partir en fumée. C’est horrible. Je prends sur moi. Mais plus le temps passe, plus j’ai envie de leur demander gentiment de respecter mon travail. Puis de leur lancer des regards destructeurs. Puis carrément de leur gueuler dessus. Voir de créer avec mes bras un périmètres de sécurité: « PAS TOUCHE! » C’est tout de même pas compliqué de reposer joliment un article qu’on a déplié non ? Les pires, ce sont ces jeunettes de 17 ans, peinturlurées au possible, fond de teintisées comme des Maserati et qui mâchent ostensiblement leur chewing-gum faisant claquer leur langue. Celles-là, elles ne regardent même pas les articles qu’elles prennent en main. Elles les jettent directement 50 cm plus loin. Comme si c’était drôle.

Ma zone est très bien rangée oui. Crédit: DJ

Ma zone est très bien rangée oui. Crédit: DJ

Heureusement, certaines clientes sont plus sympas: « Vous êtes vendeuse ici? Vous pensez que ça m’irait bien ça? », me demande une cinquantenaire en apposant sur elle une nuisette rouge. « Oui, vous avez le teint mat, les cheveux noirs, c’est une couleur qui vous va bien », je lui réponds. J’ajoute: « Et puis de toute façon, vous avez 30 jours pour échanger ou vous faire rembourser ». Je suis déjà experte ! Je lance même un « Allez-y, tout est à moins 50%! » J’ai osé. Et j’ai honte. Mais au bout d’un moment, ça devient presque mécanique. Comme plier sans réfléchir. Je me dis que le rangement appelle le rangement et que les clients ont bien plus de scrupules à tout envoyer bananer lorsqu’ils voient une table rangée (rangée dans le sens « rangée pendant les soldes », ce qui abaisse le niveau d’exigence du rangement).

Il est 18h30, cela fait 3h30 que je travaille et je n’ai encore pris aucune pause. Cette fois c’est le moment, les pires clients sont passés. Ma chef me lance un regard un peu sceptique: « Elle est comment ta zone? ». « Franchement, elle est nickel », je lui réponds en regardant la table de la zone 3 qui ressemble à un stand de braderie après un bombardement. « Bon, ok, tu peux prendre une pause ». Je me dis « J’avais pas besoin de ton accord! » A 19h40, il n’y a plus que deux clientes dans le magasin. Comme ma zone est quasiment parfaite (si si, j’ose le dire), je dois récupérer le bordel d’une de mes collègues qui n’a pas sût tenir la sienne. La zone 3 justement. C’est assise par terre, à côté d’un tas de vêtements, que je commence à trier. A 20h15 je pars, le dos en compote et surtout les épaules détruites. Ma chef nous félicite et ajoute: « N’en rêvez pas trop cette nuit ! ».

2 Réponses to “Vis ma vie de vendeuse: Jour J”

  1. chloeliberty janvier 11, 2015 à 6:26 #

    Je ne pensais pas qu’une vendeuse devait autant se démener ! Grâce à toi je t’avoue que j’ai ouvert les yeux et je ferai plus attention.
    Bon courage pour la suite !
    Bisous xx

    • delphinejung janvier 23, 2015 à 1:38 #

      Après, c’était pendant les soldes… Le reste du temps c’est un peu + calme j’imagine !

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